Feuillet n°9 bis Médicaments et
allaitement
Introduction.
Depuis
des années, beaucoup trop de femmes se sont fait conseiller, à tort, de cesser
d'allaiter. Si la mère doit prendre un médicament, par exemple, la décision de
poursuivre l'allaitement se fonde sur bien d'autres facteurs que sur la
présence éventuelle du médicament dans le lait maternel. Il faut aussi tenir
compte des risques que le lait industriel représente pour le bébé, pour la
mère, pour la famille ainsi que pour la société. Et le fait de ne pas allaiter
présente tellement de risques que la question se résume ainsi : Est-ce que la
faible quantité de médicament excrétée dans le lait rend vraiment l'allaitement
plus dangereux que l'alimentation au lait industriel ? La réponse: Presque jamais.
La présence d'une faible dose de médicament dans le lait maternel est presque
toujours sans danger. En d'autres termes, la prudence recommande de continuer à
allaiter, et non d'arrêter.
Il
ne faut pas oublier que suspendre l'allaitement pendant une semaine peut causer
un sevrage définitif car le bébé pourrait ne plus jamais vouloir prendre le
sein. Il faut aussi se souvenir que certains bébés refusent totalement le
biberon; une interruption de l'allaitement sera non seulement injustifiée, elle
sera aussi difficile à mettre en pratique. S'il est facile de conseiller à la
mère de tirer son lait quand elle n'allaite pas, cela ne sera pas toujours
évident pour la mère, qui pourra se retrouver avec un engorgement douloureux.
Les
médicaments et la mère qui allaite.
La
plupart des médicaments se retrouvent dans le lait, mais en faibles quantités.
Bien que quelques rares médicaments puissent, même en très petites doses,
causer des problèmes chez le nourrisson, ce n'est pas le cas de la grande
majorité d'entre eux. Les mères à qui l'on conseille de cesser d'allaiter pour
prendre un médicament doivent demander à leur médecin de s'assurer que sa
recommandation se fonde sur des sources fiables, ou de leur prescrire un autre
médicament compatible avec l'allaitement. Actuellement, il est facile de
trouver un autre traitement. Si le médecin se montre peu compréhensif, la mère
devrait demander l'avis d'un autre médecin, et non cesser d'allaiter.
Pourquoi
la plupart des médicaments se retrouvent-ils dans le lait en si faibles
quantités?
Parce
que l'excrétion dans le lait dépend de la concentration dans le sang de la mère
et que cette concentration plasmatique se mesure souvent en microgrammes ou
même en nanogrammes par millilitre (des millionièmes ou des milliardièmes de
gramme), alors que la mère en ingère des milligrammes (millièmes de gramme) ou
des grammes. De plus, ce n'est pas toute la concentration plasmatique qui est
excrétée dans le lait. Beaucoup de médicaments sont presque complètement liés
aux protéines du sang de la mère. Par conséquent, l'enfant ne reçoit pas autant
de médicament que la mère et presque toujours beaucoup, beaucoup moins,
proportionnellement. Ainsi, dans une étude sur la paroxétine (Paxil®),
comparativement à sa mère, le bébé recevait moins de 0,3% du médicament pour
chaque kilogramme (la mère absorbait 300 microgrammes par kg par jour et le
bébé, 1 microgramme par kg par jour).
La
plupart des médicaments sont compatibles avec l'allaitement si :
·
Ils sont couramment prescrits à des nourrissons. La quantité présente dans le
lait maternel sera très inférieure à celle que recevrait le bébé s'il était
lui-même traité.
- Ils
sont jugés utilisables pendant la grossesse. Ce n'est toutefois pas toujours
vrai, puisque pendant la grossesse, le foie et les reins de la mère peuvent
éliminer le médicament pour le fœtus. Il est théoriquement possible (mais
probablement rare) qu'une accumulation du médicament se produise pendant
l'allaitement alors que ce ne serait pas le cas pendant la grossesse. Si l'on
craint toutefois la simple exposition à un médicament, comme un antidépresseur,
rappelons que pendant sa vie utérine, le bébé reçoit des doses nettement plus
élevées, à une étape de son développement où il est en outre plus vulnérable.
- Ils
ne sont pas absorbés dans l'estomac ou l'intestin. C'est le cas de nombreux
médicaments injectés (mais pas de tous), comme la gentamicine (et les autres
antibiotiques de la même famille), l'héparine, l'interféron, les anesthésiques
locaux, l'ompérazole.
- Ils
ne sont pas excrétés dans le lait. Certaines molécules sont tout simplement
trop volumineuses pour cela : héparine, interféron, insuline.
Voici
des produits courants qui sont en général compatibles avec l'allaitement :
Le
paracétamol (ou acétaminophène), l'alcool (en quantité raisonnable), l'acide
acétylsalicylique ou aspirine (la posologie habituelle, pour une courte
période), la plupart des anti-épileptiques et des anti-hypertenseurs, la
tétracycline, la codéine, les anti-inflammatoires non stéroïdiens comme
l'ibuprofène, la prednisone, la thyroxine, le propylthiouracile (PTU®), la
warfarine, les antidépresseurs tricycliques, la sertraline (Zoloft®), la
paroxétine (Paxil®), d'autres antidépresseurs, le métronidazole (Flagyl®) ,
l'ompérazole (Losec®), les pédiculicides à base de perméthrine (Nix®, Kwellada®).
Nota
: Habituellement sans toxicité, la fluoxétine (Prozac®) a une très longue
demi-vie (elle reste très longtemps dans le corps). Un bébé né d'une mère
traitée pendant sa grossesse aura accumulé dans son organisme une quantité
importante de fluoxétine, à laquelle viendront s'ajouter les faibles quantités
absorbées avec le lait maternel; l'accumulation pourrait être suffisante pour
causer des effets secondaires. C'est rare, mais c'est arrivé. Dans ce cas, deux
possibilités :
1.
Arrêter le traitement à la fluoxétine pendant les 4 à 8 dernières semaines de
la grossesse. Cela permettra l'élimination de la fluoxétine du corps de la mère
et de celui du bébé. Après la naissance, la mère pourra reprendre de la
fluoxétine, la quantité présente dans le lait étant trop faible pour susciter
des problèmes.
2.
S'il n'est pas possible d'arrêter le traitement à la fluoxétine pendant la
grossesse, on peut en général prendre après l'accouchement un autre médicament
dont le passage lacté est faible. La sertraline (Zoloft®) et la paroxétine
(Paxil®) sont deux bons choix.
Les
médicaments appliqués sur la peau, inhalés (antiasthmatiques) ou
utilisés par voie oculaire ou nasale sont presque toujours sans danger
pendant l'allaitement.
Les
produits employés pour les anesthésies locales ou régionales ne sont pas
absorbés par l'estomac du bébé et sont sans danger. Quant aux anesthésiques
généraux, seules d'infimes quantités (comme de tout médicament) passent dans le
lait et sont peu susceptibles d'avoir des effets sur le bébé. Leur demi-vie est
d'ordinaire très courte et leur excrétion, extrêmement rapide. La mère peut
allaiter dès son réveil, dès qu'elle se sent prête.
Les
vaccins faits à la mère ne nécessitent pas l'interruption de l'allaitement.
S'il en passe dans le lait, ils aideront même l'enfant à développer sa propre
immunité. En fait, la plupart du temps, ils ne passent pas dans le lait, sauf
éventuellement certains vaccins à virus vivant comme celui de la rubéole. C'est
un avantage, pas un inconvénient.
Les
examens radiographiques habituels ne nécessitent pas d'interruption de
l'allaitement, même si un opacifiant est utilisé (urographie intraveineuse, par
exemple). L'opacifiant ne passe pas dans le lait, et même s'il le faisait, il
ne serait pas absorbé par l'enfant. La situation est la même pour la
tomographie et l'imagerie par résonance magnétique (IRM). Il est inutile
d'arrêter l'allaitement, même pour une seconde.
Les
produits radioactifs
Nous
ne souhaitons pas exposer les bébés à la radioactivité, mais les médecins
hésitent rarement à leur faire passer des examens radioactifs. Lorsqu'une mère
subit une scintigraphie pulmonaire ou osseuse ou une lymphangiographie, elle
est le plus souvent faite avec du technétium (bien que d'autres substances
soient utilisées). Le technétium a une demi-vie (le temps nécessaire pour que
la moitié du produit soit éliminé) de 6 heures, et après 5 demi-vies, il sera
totalement éliminé. Cela signifie qu'au bout de 30 heures la mère pourra
reprendre l'allaitement sans le moindre risque. Mais faut-il attendre
l'élimination complète du produit? Au bout de 12 heures, 75% du produit est
éliminé, et le taux lacté sera très bas. J'estime personnellement que la mère peut
continuer à allaiter après la plupart des examens nécessitant un produit
radioactif ; mais si la mère et son médecin craignent pour le bébé, suspendre
l'allaitement pendant 2 demi-vies est suffisant avec des produits tels que le
technétium. Si l'examen est fait pendant les premiers jours qui suivent
l'accouchement, le bébé recevra encore moins de produit dans la mesure où la
sécrétion lactée est basse. Dans un tel cas, je pense qu'il n'est ni nécessaire
ni utile de suspendre l'allaitement : le colostrum est important pour le bébé.
Si
une suspension de l'allaitement est jugée souhaitable, la mère pourra tirer son
lait à l'avance pour faire des réserves. Il est rare qu'un tel examen soit
nécessaire en urgence ; le plus souvent, on peut attendre quelques jours.
Pour
la radiographie thyroïdienne, c'est différent. L'iode radioactif se concentre
dans le lait, est ingéré par le bébé et s'accumule dans sa thyroïde où il reste
longtemps. C'est certainement préoccupant. Faut-il que la mère cesse d'allaiter?
Non. Cet examen est en effet souvent facultatif. Chez les mères allaitantes, il
sert souvent au diagnostic différentiel de la thyroïdite du post-partum et de
la maladie de Graves (goitre exophtalmique), alors que d'autres méthodes
peuvent être employées. Il faut se renseigner. Au besoin, on peut faire une
scintigraphie thyroïdienne avec du technétium.
Traduction du feuillet n°9a. You Should Continue
Breastfeeding (1) Drugs and Breastfeeding
Révisé en janvier 2000, en octobre 2000 pour la
version française.
Jack Newman, MD, FCRPC - Pédiatre - Responsable de
consultations de lactation - Toronto - Canada
Peut être copié et distribué sans autorisation
supplémentaire